Liberté
Ce jour-là, j’ai senti qu’il se passait quelque chose
et ma vie s’en est sans doute trouvée un peu changée.
Au départ, rien ne laissait augurer que ce voyage
serait différent des précédents. J’étais partie comme de coutume, nez au vent,
avec une envie de découvrir, de me laisser porter au gré des évènements.
Comme de coutume, j’avais établi un itinéraire avec
soin. Prendre à droite en sortant pour retrouver rapidement les bords du lac,
terrain facile qui permet aux foulées de s’allonger sans même y penser.
Obliquer ensuite pour retrouver les sentiers moussus sous les chênes
centenaires, le demi jour qui y règne donnant le champ libre à toutes les
fantasmagories.
Au sortir de la forêt, laisser le regard se porter sur
ces parcelles multiples, ces morceaux de terre qui tissent une histoire.
Éviter de rentrer dans le village en empruntant ce
fameux raidillon qui fait le souffle court et les mollets tendus.
Redescendre ensuite dans les herbes hautes pour
retrouver la rivière qui coule à grands fracas joyeux.
Enfin prendre le chemin du retour, se blottir au chaud
et fermer les yeux pour mieux savourer cette cueillette de sensations
multicolores et odorantes.
Oui, c’est bien ainsi que j’envisageai cette belle
matinée. J’ai pour une fois scrupuleusement respecté le trajet que je m’étais
fixé !
Mais tout peut arriver à n’importe qui, n’importe
quand.
Ce matin-là, mes préoccupations du quotidien
s’envolèrent aux premiers pas et des mots vinrent se poser dans ma tête en un
joyeux capharnaüm ! Apparemment sans logique, sans queue ni tête, sans
tambour ni trompette !
De l’huile de camphre et un grand morne, un ciel bleu
lavande qui résonne du cri des cagous huppés, le son des roses qui éclosent….
Chaque nouveau détour de ce chemin pourtant connu hébergeait des mots nouveaux
ou oubliés, hétéroclites, épatants et ébouriffants ! Toute enivrée de
cette collecte, je ne voyais plus ni les parcelles ni la rivière mais les mots
qu’elles faisaient naitre.
C’est au pas de charge, en courant presque que je
rentrais. Vite, au plus vite, déposer tous ces trésors sur le papier, laisser
les mots s’organiser et négocier en liberté.
Ce jour-là s’est ouvert mon voyage en écriture. Marcher,
sortir, pédaler, humer, regarder, et puis rentrer et par une étrange alchimie, écrire,
écrire…