mardi 20 avril 2021

Ce serait le bruit ténu des pages qu'on tourne...

Le bruit de quelque chose qui glisse lentement.

Assise sur son banc, en cette fin d’après-midi, elle lit d’un œil distrait. Plus loin, s’agite la fête foraine, le cliquetis répété des voiles sur les mats des bateaux au gré de la brise. Les badauds se promènent et lèchent les vitrines. Les cris des enfants qui jouent encore sur la plage se juxtaposent aux rires des mouettes moqueuses et gourmandes. Le long de la jetée, le ressac vient caresser la digue.

Elle perçoit distinctement le soupir ténu des pages qu’elle tourne, le murmure d’une conversation qui lui parvient par à-coups. Elle se prend à rêver.
Et si, là, maintenant, l’impossible se produisait. Ce serait le bruit de quelque chose qui glisse doucement, feutré, discret. Un pas, un pas si léger qu’il faudrait tendre l’oreille. Une présence qu’on devine, une ombre qui s’interpose. Et enfin la chaleur douce d’une main tendre qui viendrait effleurer la sienne.
Ce serait juste le bruit de quelque chose qui glisse tranquillement. Elle sourit dans le vague « Les anecdotes en fleurs ….. » … « et….. les tourterelles ? »
Le clapotis plus fort des vagues la ramène à la réalité du moment. Elle rougit, un peu. Allons, il n’est plus l’heure de ces rêveries de midinette ! Le soir est venu. Elle a réservé à la table d’hôtes et se fait une joie de bavarder à bâtons rompus avec les nouveaux arrivants. Ces rencontres furtives et éphémères se révèlent bien souvent passionnantes. Le coin du feu, l’heure tardive, la quasi-certitude de ne jamais se recroiser donne aux uns et aux autres la liberté de tomber le masque et de se livrer sans fard. La vérité de soi, débarrassée des oripeaux du rôle social ou professionnel de chacun.
Elle se redresse et rentre d’un pas vif.

Le bonnet bien vissé sur la tête, il respire à pleins poumons. L’air est agréablement vif et piquant. Le port des travailleurs s’éveille dans ce tout petit matin. Les quelques lumières blafardes n’éclairent pas encore les eaux noires. Les bruits montent peu à peu, en un opéra discipliné.

Il est un peu en avance et s’attarde quelques minutes. Il s’assoit pour savourer les prémices de cette nouvelle journée, probablement assez semblable aux précédentes et aux prochaines, mais bien évidement tout à fait particulière et unique, puisque nouvelle. Il est bien sur ce banc, un peu à l’écart. Il observe les premières lueurs qui changent presque imperceptiblement. Il a toujours aimé sentir la ville endormie autour de lui. Il se sent encore plus vivant. Des élans de poésie lui viennent en tête. Il se frotte la barbe et sourit ! Allez, le poète, il est temps ! Le travail n’attend pas ! Il se lève et part retrouver son poste.

Aujourd’hui, elle a choisi le sentier des douaniers. Elle est partie sitôt après le petit déjeuner, pique–‑nique, gourde et chapeau et en avant vers l’aventure ! Toute relative d’ailleurs l’aventure. Elle le connait déjà ce sentier pour l’avoir déjà parcouru, dans une autre vie. La découverte sera plutôt celle des paysages toujours changeants, au détour du chemin. La végétation peint un nouveau décor au fil des saisons et la mer tout en bas de la falaise, qui passe de l’indigo au violet ou vert ponctue le tout.

Une petite sieste après le déjeuner, chapeau rabattu sur les yeux.
Elle a continué son chemin, non sans prendre le temps d’observer la valse hardie des mouettes face au vent, les voiles blanches au loin qui s’agitent comme autant de mouchoirs sur le quai. Elle a pris quelques photos aussi pour le bonheur de trouver le meilleur angle, pour s’obliger à regarder mieux et capturer l’essence même du moment.
Enfin, elle est redescendue vers le port et ses pas l’ont ramenée tout naturellement à son banc, qui lui semble réservé. Un peu fourbue, elle s’y laisse presque tomber. Il lui reste un peu d’eau, qu’elle savoure avec plaisir. La marche a été longue et elle a l’impression de s’être desséchée au vent et au soleil.
Vivement la douche !

Le temps a changé pendant la nuit et le ciel est noir comme un four ! Les vagues invisibles claquent et résonnent sur les enrochements de la digue. Un grain se prépare et il devient urgent de fermer son ciré. Il soupire et se dit que l’opéra d’hier pourrait bien céder la place à un hard-rock ! Ça va swinguer là-haut dans la grue ! Autant se donner encore quelques minutes de répit tant qu’il est sur la terre ferme. Il se laisse glisser sur le banc accueillant, presque familier.

Alors que les premières bourrasques enflent, lui reviennent en mémoire, des paroles étonnantes, ressurgies du passé, comme par inadvertance : « des fleurs magnifiques, » « des oiseaux pensifs »… Son cœur fait un bond ! Mais que viennent faire là ces pensées, au milieu de cet univers qui se fragmente et se tord ?
Ce n’est pas le moment ! Il essuie d’un geste rageur la goutte de pluie salée qui coule sur sa joue, inspire à grande goulée pour se remettre dans l’ordre, et se dirige en adulte responsable vers sa journée de travail.

Elle a partagé sa journée entre la flânerie dans les petites rues pavées de la vieille ville voisine, les averses soudaines lui donnant le prétexte pour rentrer dans les échoppes ou savourer quelques gourmandises en regardant les carreaux pleurer. Elle a fait quelques menues emplettes, aussi, des petites babioles qu’elle oubliera dans une boite avant de les retrouver avec bonheur bien plus tard.

Soudain, en fin d’après-midi, le ciel s’est dégagé et le soleil tout neuf l’a poussé à ressortir. Elle a repris son livre, dont elle n’a guère avancé la lecture, et c’est tout naturellement que ses pas l’ont ramenée à son banc.

Le travail s’est terminé un peu plus tôt que d‘habitude. Il a pu se reposer et se sent frais et dispo pour mettre le nez dehors, pour aller voir le port en touriste, écouter les pas des badauds qui flânent, admirer les châteaux de sable, sentir les parfums sucrés de la fête foraine. Il descend presque joyeux, un léger sourire aux lèvres, sans remarquer vraiment où le conduit sa trajectoire. S’asseoir et savourer, respirer, se souvenir peut-être aussi. Soudain, il s’arrête et grommelle ! Son banc, attitré, personnel, son banc n’est pas libre ! Il faudrait en choisir un autre, le port n’en manque pas !

Mais celui-là, c’est son banc, c’est surtout le banc !
Il voudrait se résigner et aller juste un peu plus loin mais sans savoir pourquoi, il continue d’avancer tout droit. Une drôle de sensation l’envahit. Il a chaud, il a froid, il ne sait plus ! Et si, là, maintenant, l’impossible se produisait ! Il se traite de fou, de vieux rêveur mais se rapproche encore. Ce serait ce bruit si léger, celui des pages qu’on tourne. Ce murmure fredonné, si bas qu’il faudrait le deviner : « Les anecdotes en fleurs sont magnifiques ». Il s’entend répondre sur le même ton « Mais à quoi songent donc les tourterelles ! »

C’est alors le bruit presque inaudible de deux mains qui s’effleurent, doucement.

dimanche 11 avril 2021

Marie Séraphine...

Dans la ville ruisselante de pluie, au cœur de la nuit, Marie Séraphine ne dort pas. Sous l’averse battante, derrière ses volets clos, elle songe.

Elle revoit la petite fille au maillot de bain rouge et se dit que la route aura été belle. Les anglaises blondes de sa petite enfance ont cédé la place à des boucles folles qui démentent le gris supposé sage. Cette petite fille, pleine d’énergie et d’inquiétudes mélangées est devenue grande !

Elle se sent en paix. Bientôt, elle ira continuer d’écrire sa vie juste à peine plus haut. Dans ce nouvel igloo, chez elle, les soirs d’été, elle écrira, à l’ombre tutélaire de la cathédrale. Les lumières de la ville lui diront la vie des hommes et les étoiles lui donneront la poésie.

Dans la ville ruisselante, cette nuit, Marie Séraphine ne dort pas. Elle songe et sourit !