Mes humeurs, bonheurs, malheurs, mes coups de cœurs, mes coups de colère, mes envies passagères...
Qui êtes-vous ?
- Jane Mésokè
- Citoyenne du monde, auditrice critique, gourmande de vie, indignée parfois, curieuse souvent, lectrice assidue toujours.
mercredi 21 octobre 2020
Une chronique de Marie Séraphine – Les bonds du coquelicot
Installé dans une flaque de lumière, les pieds du chevalet
solidement plantés dans l’herbe verte et grasse, Émile peint. A ses pieds,
étalée de tout son long sur la terre encore fraiche, abandonnée, Noisette rêve.
De temps à autre, ses pattes s’agitent en de légers tressautements. Sa truffe
frémit.
Derrière lui, bercés par le vent, les grands arbres ondulent et craquent.
Dans le ciel immense qu’il affectionne, une buse tournoie et semble veiller sur
lui. Il est tôt encore, mais déjà le soleil monte.
Plus bas dans la vallée, il devine plus qu’il ne voit réellement
les premiers volets qui claquent, les légères fumées qui s’échappent des toits.
Il imagine le bol de café dans la cuisine, le pain grillé et la confiture de mûres,
ou encore le chocolat chaud qui dessine de si jolies moustaches sur les joues
roses encore engourdies de sommeil.
Tout entier à sa songerie, il ne s’aperçoit qu’après que son
pinceau s’est émancipé. De grands aplats de bleus, de vert se sont posés sur sa
toile presque à son insu.
Un petit point rouge
De l’autre côté du ru
S’agite, saute.
Noisette s’étire et baille dans son sommeil. Son oreille droite se
lève, presque aux aguets, avant de retomber dans une bienheureuse torpeur. Émile
considère sa toile, et se laisse aller. Il s’imprègne du paysage jusqu’à ne
faire plus qu’un avec ce qui l’entoure. Au loin, les premières maisons aux murs
épais et au toit rabaissé. Les pavés de la petite ruelle qu’il a parcouru tout
à l’heure pour sortir du village.
Un bond à droite,
Avancée subreptice,
Un, deux, trois, soleil !
Maintenant, la minuscule place centrale, la fontaine qui ne
coule plus depuis bien longtemps, les sources sont taries, hélas. Son chant
musical et apaisant remplacé par le bruissement des feuilles trop sèches.
Peut-être coulera-t-elle cet automne à nouveau, si les pluies sont bien au
rendez-vous.
Bien rude pente,
Pas décidés, résolus,
Souffle court,
Émile installe sur sa toile la buse qui plane tranquillement là-haut.
Son regard redescend à nouveau sur le village. Au fond de la place, le monument.
Pas un monument aux morts, non. Bien plutôt un monument à la vie, sur lequel on
peut lire « Si tu veux la paix, prépare la paix ! »
Bien que n’en étant aucunement responsable, Émile est très fier
que son village affirme ainsi crânement les valeurs qui lui sont chères.
Détour du chemin,
Dissimulé par les haies,
Cailloux qui roulent
L’église, ensuite. Il ne la fréquente que très peu, si ce n’est
parfois pour en savourer l’atmosphère douce, silencieuse et fraiche, les jours
de grande chaleur. Il se pose alors discrètement sur un banc, tout au fond, près
de la porte, comme en contrebande, et savoure le calme de ce coin du monde.
Frêle fredonnement,
Claquement irrégulier
Tache colorée
Voilà que je rêve trop, marmonne Émile ! Pourquoi ai-je mis
ici ce point rouge ? Noisette, quant à elle, s’est réveillée tout à coup.
Tant pis, se dit-il, je vais peindre un coquelicot. C’est joli, un coquelicot,
et puis, c’est rouge, ce qui m’arrange bien !
C’est alors que le coquelicot se fait entendre, de sa petite voix
flûtée !
Moi, je suis Julie,
As de la corde à sauter.
Je peux regarder ?
Émile ne dit rien, ses coups de pinceaux maintenant rythmés par
les claquements. Un saut en avant, un saut en arrière, hop, les pieds croisés ….
Noisette pose sa truffe au ras des herbes folles et suit des yeux les bonds du
coquelicot.
dimanche 18 octobre 2020
n -
Noël
Quelques jours avant, comme un frisson dans les
journées grises et froides.
Excitation, énervement.
Dehors, dans la cour, le sapin.
Table débarrassée,
Décorations sorties, étalées, triées,
Étoile au sommet,
Rêver, imaginer à n’en plus pouvoir,
Jusqu’à l’épluchage des légumes qui prend une toute
autre saveur,
Quel cadeau ? Un jeu, un livre, un vêtement ?
Savourer à l’avance les clémentines qu’on trouvera
dans le soulier.
La veille,
Atmosphère légère, intense, fébrile,
Les chaussures qu’on frotte et que l’on cire, pour les
faire briller.
Disposées en cercle au pied du sapin, des plus grandes
aux plus petites.
La soupe a ce soir-là un goût particulier.
Manteau, bonnet, gants, écharpe,
Excursion en famille jusqu’à l’église.
Evènement annuel sur fond de musique et de lumière,
Au retour, bout du nez rougi, les yeux qui brillent,
Ivres de tout ce chamboulement,
Vite au lit, bien au chaud.
Ce soir, c’est sûr, je ne vais pas dormir,
Je vais surveiller, regarder,
Les yeux qui piquent,
Je vais….
Le jour même, le matin.
Nul besoin de réveil, tout le monde est debout !
Dans la cuisine, trop petite mais chaude,
Enfin, ça y est !
Euphorie, magie,
Chacun ouvre et déballe, c’est l’Exposition
Universelle !
On vérifie, le paquet de crottes, les clémentines
Le dernier Caroline Quine – Alice et la malle mystérieuse,
Une nouvelle boite de Ministecks,
C’est Noël !
Le reste de la journée, ponctuée d’un repas de fête,
se déroulera hors du temps, entre jeux, lecture et chocolats.
c -
Clés
Mon premier trousseau de clés, réduit d’ailleurs à sa
plus simple expression, puisqu’il n’en comporte qu’une seule !
C’est un dimanche vers seize heures que je prends
possession des lieux. Je tourne ma clé dans la serrure de la porte en bois
verni.
Un pas, deux pas, je pose mon sac.
A gauche, le lit une place, recouvert d’une couverture
à carreaux. Les draps un peu épais, blancs, un petit traversin. Une applique à
la lumière administrative en guise de lampe de chevet.
Au bout du lit, le long du mur, une armoire – placard –
vaisselier – bibliothèque – étagère à tout et à rien. Ce n’est pas grave, pour
l’instant, je n’ai pas grand-chose à y poser, si ce ne sont les quelques assiettes
d’Arcopal et les verres de Pyrex prélevés par ma grand-mère sur les hautes
piles qui remplissaient ses placards.
A côté de l’armoire, la table, qui me donnera pour
toujours le goût des grands bureaux. Une chaise.
Une large fenêtre aux panneaux coulissants, stores à
lamelles vert d’eau, couleur que je déteste encore à ce jour.
Mur opposé, garnis de placards multiples, petits,
grands, qui déborderont bientôt. Une porte dissimule un lavabo qui se changera
régulièrement en machine à laver !
Mais si, bien sûr, on peut laver un jean dans un lavabo !
Acquisition très urgente de serpillères pour que ledit jean s’égoutte et sèche
sans inonder tout l’étage !
Puis, tiens, la porte à nouveau.
A un bout du couloir, la cuisine. C’est-à-dire deux
plaques chauffantes. Mieux vaut utiliser la première, l’autre fonctionne à
temps partiel.
A l’autre extrémité, après le palier, les toilettes et
les douches.
Chambre 409.
J’ai 18 ans, je suis étudiante.
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