dimanche 28 mars 2021

La journée de Julie

"Je pars". La porte claque et couvre les mots de Julie, qui se hâte autant que ses courtes jambes le lui permettent ! Elle est équipée de pied en cap et file avec bonheur vers la journée qui l'attend.

"Vite, vite, sinon on va être en retard !"
Elle, qui d'habitude flâne et peut s'arrêter pour observer le trajet d'une colonne de fourmis ou les volutes de fumée pendant de longues minutes, ne voit plus rien. Elle tourne au coin de la petite venelle, sans même prendre le temps de sentir le parfum des roses orangées qui dépassent de la grille.
"Salut Noisette, on y va, ça y est, tu es prête ?"
"Doucement, ma belle ! Tout va bien, nous avons le temps !" lui réponds Émile, qui sort à cet instant. "Marie Séraphine est encore dans la cuisine." Malgré ces paroles rassurantes, Julie trépigne d'impatience. "Tu m'aides ?", lui demande alors Émile, pour la distraire. "Tiens, rapporte des seaux, je les ai oubliés !"
Avec gravité et tout le sérieux exigé par sa mission, Julie file dans la grange et revient, les bras encombrés des seaux presque aussi hauts qu'elle !
"Parfait, mademoiselle ! Heureusement que tu es là !", s'exclame Émile, attendri.
"Eh bien, nous voilà au complet, parés à virer", reprends Marie Séraphine. "En route, la fine équipe !"
A ces mots, Noisette grimpe dans la cabine du tracteur, suivie de Julie, assistée d'Émile. Marie Séraphine prend le volant de l'antique camionnette et le convoi s'ébranle. Les cailloux roulent sur le chemin blanc qui monte vers le coteau et Julie se sent ballottée de droite et de gauche ! Qu'importe ! La petite fille ne donnerait sa place pour rien au monde !
On tourne une dernière fois à droite, la truffe de Noisette frétille, Julie se redresse, on est arrivés !
Marie Séraphine gare son véhicule en bordure du bois et vient ouvrir la porte.  Noisette, partie se dégourdir les pattes, revient et attends, patiemment, au pied du premier cep.
"Alors Julie, tu es prête ? Tu as bien compris ? On essaie de ne pas en oublier, ni de se couper les doigts ! Ce sont les raisins qu'on veut dans le seau !" 
La petite fille acquiesce ! « Ben, oui, je sais, tu m'as appris et j'ai rien oublié ! Bon, on peut commencer ? Sinon, on n’aura jamais fini ! » 
« Alors, c’est parti ! A toi l’honneur, jeune fille ! Le premier rang est le tien ! »
Noisette observe toute cette agitation, et choisit de se poser de tout son long dans l’herbe encore verte de cette fin d’été.
Julie est maintenant à pied d’œuvre ! « Voyons, il faut s’appliquer, Émile a dit de bien faire attention ! » Elle est si concentrée qu’elle en tire la langue ! « Comment choisir, comment savoir ?»
Soudain, l’idée lui vient : il suffirait peut-être juste de goûter, juste un tout petit grain, juste vraiment, un petit rien ! Allez, il faut se décider, cette grappe-là, d’abord. Elle est bien charnue, cela fait trop envie !
Julie dérobe un grain juteux, puis un autre, ça fond dans la bouche, c’est gorgé de sucre et de soleil ! 
« Oui, vraiment, cette grappe est bonne à couper ! » Hop, dans le seau, non sans un léger prélèvement au passage ! Allez, une autre, maintenant ! Et puis goûter encore, juste pour vérifier bien sûr !
Et c’est ainsi que la jeune Julie passa sa première matinée de vendanges, le nez un peu rougi par l’air encore frais et le menton barbouillé du sucre des fruits ! Il parait que le seau ne se remplit guère, ce jour-là.
Après le pique-nique, épuisée de tant d’excitation, elle s’endormit à l’ombre des noyers, surveillée de près par Noisette qui agitait la queue pour chasser les insectes. En fin d’après-midi, en rentrant dans le tracteur brinquebalant, sur le chemin blanc caillouteux, elle se sentait subitement devenue grande !

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Histoires du monde - Pérégrinations incertaines - Volume 16 – Laisser rouler...

Rouler, glisser, laisser aller,

La rivière,
Les derniers pavés,
L'air bleu,

Pédaler, songer, laisser glisser,
Le banc accueillant,
Les gens souriants, 
Les bourgeons élégants

Rêver, avancer, laisser rouler,

Le lièvre guetteur,
Les deux lièvres fuyants,
Les craquements des branches,
 
Avancer, aller, laisser passer,
Les futaies élancées,
Les oiseaux chanteurs,
Les flaques jaunes des ficaires,

Pédaler. 

Avancer. 
Laisser rouler !

 

mardi 9 mars 2021

Les mots d'Émile - Petit matin

La vallée est drapée d'un léger cocon gris. Des lambeaux de brume ornent la surface des étangs. La journée sera belle pourtant, on devine déjà les premiers rayons du soleil.

Noisette sort et furète dans la cour, vérifie soigneusement son domaine avant de s'échapper dans le chemin qui serpente entre les vignes, en direction de la forêt. Elle part en éclaireur et reviendra bientôt frétillante. 
J'aime les tous petits matins, l'air vif et piquant. Les muscles qui s'échauffent tranquillement au rythme de la nature qui s'éveille. Les perles de rosée, les taches d'ombre bleutée aux abords du sous-bois.
Me voilà déjà à rêver dans les arômes de mon café ! Il est temps de me préparer. 
De me présenter aussi !
Je suis Émile, connu comme le vieil Émile.
Vieux, je ne l'ai pas toujours été bien sûr, et ne le suis peut-être pas tant que cela !
Mais cette identité me convient bien ! C'est dit, c'est établi ! Je suis, une fois pour toutes, le vieil Émile ! Qu'importent désormais les années, je ne vieillirai plus puisque c'est déjà fait !
Je n'ai pas toujours habité dans ma maison du bout de la venelle, ni même dans ce petit coin du monde. Le fil de ma vie m'a mené dans différents pays, m'a donné l'occasion de multiples rencontres.
Je suis arrivé dans ce village par hasard, en juin. Les fleurs du savonnier de la cour exhalaient un léger parfum. La maison était à vendre, je cherchais à me poser, je m'y suis installé avec Noisette.
Depuis, la vie s'écoule. 
Marie Séraphine est un jour venue frapper à mon carreau. Elle souhaitait composer un bouquet de branches de savonnier, comme elle avait l'habitude de le faire, les années précédentes. Je suis allé chercher le sécateur et l'ai aidé à choisir les plus belles hampes. Je crois bien qu'il m'a fallu ensuite trouver un récipient et que son bouquet est finalement resté posé dans la cuisine !
Marie Séraphine ! Qu'en dire ! C'est un personnage ! Avec son ciré mauve, sur son vélo, elle aussi sillonne la vallée. Elle écoute et met en mots la vie des autres. Là aussi, elle arrange des bouquets. 
Et puis, il faudra aussi que je vous raconte Julie ! Julie, alias le Coquelicot ! Jeune petite personne intrépide arrivée par inadvertance sur une de mes toiles ! Julie, qui fronce le nez et dit très sérieusement : "… alors voilà, tu comprends, il faut que je t'explique..."
Allons, voici Noisette qui revient, son tour du propriétaire terminé. Nous allons pouvoir repartir, marcher à la rencontre de ce jour neuf.