La basse-cour est en ébullition ! Le toit du poulailler, déjà en bien piteux état, menace ruine ! Il faut agir, évidemment !
Certains
continuent pourtant sans faiblir leur brave métier de volatile, considérant sans
doute que là est leur place. Picore ici, picore là… tiens une fuite, picorons
un peu plus loin !
D’autres
encore, ayant levé les yeux, plus conscients sans doute du danger, cessent pour
un instant de picorer et s’interrogent. Agir, oui sans doute, mais où, quand et
comment ? Après quelques palabres, il est résolu de cesser de picorer …
provisoirement et …ultérieurement ! C’est décidé, le jour de la Grande Grève du
Picorage est arrêté ! En attendant, chacun retourne à ses activités.
Un
volatile pourtant se distingue. Il habite au tout dernier étage du poulailler, et
semble estimer que cela lui confère assurément une sagesse plus grande ! Nous
l’appellerons donc le Volatile Supérieur, même si cette sagesse auto-proclamée parait
questionnable au vu des agissements dudit volatile !
Il n’est
pas rare, en effet, lorsqu’il daigne honorer le poulailler de sa trop exceptionnelle
présence, de voir le volatile, s’exclamer, protester, s’indigner : « Nous
ne pouvons plus picorer dans ces conditions, c’est insupportable ! Je suis
épuisé, je n’en puis plus, ayant picoré jusque fort avant dans la nuit ! Luttons
tous ensemble contre le Grand Complot ! » Il faut ici expliquer que ce
volatile, sans doute assez peu surmené malgré ses affirmations, passe la
majeure partie de son temps à imaginer le poulailler et le monde victimes de moultes
conspirations !
Le Volatile
Supérieur a également pour lassante habitude d’inonder le poulailler de pamphlets
et causeries interminables sur tous les thèmes et les sujets ! Quelques
esprits caustiques ne manquent d’ailleurs pas d’observer que le temps consacré
à ces rédactions serait probablement plus utilement mis à profit pour accomplir
sa part de picorage, comme tout un chacun !
Le « Don-Quichottesque » Volatile Supérieur est d’ailleurs si occupé à mener
guerres et combats contre de chimériques moulins qu’il ne perçoit pas l’indifférence
et l’ignorance dans laquelle le tient une part toujours plus grande de son
potentiel auditoire ! Ses libelles n’encouragent pas non plus à la
lecture, tant les propos tenus y sont fumeux, faux ou incompréhensibles.
Malheureux
celui qui tente de lui faire entendre raison ! Un jour, l’un de ses
congénères, lassé sans doute de ces péroraisons et autre défis à la raison, tenta
de l’amener à plus de mesure et de réflexion. L’outrecuidant se vit incontinent
condamné en public à la potence, prié de se taire, au motif bien évident que
seul le volatile supérieur détient la vérité, fondée sur une observation
minutieuse et éclairée, d’une vingtaine de minutes, curieusement placée sur un
temps en principe dévolu au picorage !
L’issue
de cette fable n’est pas encore connue. Il parait cependant probable que le
toit dudit poulailler finira bien par s’effondrer effectivement, tandis que le
Volatile Supérieur, pourtant tombé de son piédestal, persistera longtemps
encore dans sa course aussi éperdue que sans but, tel un canard sans tête !
Une
vision optimiste voudrait que les volatiles finissent enfin par prendre le
temps du recul nécessaire et lèvent le bec un plus haut que leurs graines !
Il
revient au lecteur d’imaginer la suite.
Une morale cependant :
« Tel qui montre un chemin vers le salut, comme seul et unique,
se place bien souvent comme but d’icelui ! »