Migrations…
Le violoncelle me prend et m’emmène. Je me laisse bercer,
emporter. Me reviennent ces années d’étudiante. Je me revois dans ma modeste
chambre qui m’était un royaume. J’y passais mes week-ends, et une bonne partie
de mes vacances aussi.
C’étaient mes premiers pas d’adulte autonome, avec 3 francs six
sous en poche. C’étaient les poulets à 12 francs, cuisinés à la congolaise,
avec application, cuits pendant des heures et mangés à 3 heures de l’après-midi !
Dans ces grandes occasions, nous refaisions l’aménagement des chambres, le
mobilier passant aisément de l’une à l’autre, pour fabriquer une grande tablée.
Nous étions souvent les seuls résidents de l’étage, les autres
étudiants rentrés pour le weekend.
Une autre bande, toujours estudiantine, un peu plus tard. Les crêpes
du dimanche soir cuites sur la plaque électrique clandestine, avec le pot de
mauvaises confitures d’abricots, dévorées assises par terre, dans la chambre de
l’une d’entre nous !
La vie était douce et allait de soi, pas d’inquiétude
particulière sur l’avenir. Pas de blues du dimanche soir non plus. J’entendais
les autres étudiants « migrants » hebdomadaires, rentrer, au rythme
des arrivées de train. Je les croisais parfois, dans les couloirs, plus ou
moins pâles et défaits. Ils avaient l’air de revenir au bagne, je ne les
comprenais pas, j’étais « chez moi ».
Cette sensation ne m’a d’ailleurs jamais quittée. J’ai toujours
été « chez moi », partout où j’ai habité, et le suis encore aujourd’hui,
plus que jamais auparavant, sans doute !
Par les hasards de la vie, je suis à mon tour devenue « migrante
plus ou moins hebdomadaire », mais je savoure avec un égal bonheur les
départs et les retours. Je suis chez moi, là-bas, je suis chez moi, ici.