Il pleut ce matin, gentiment, tranquillement ! Marie-Séraphine a laissé la porte de l’atelier entrouverte pour mieux entendre le chant guilleret de l’eau qui s’écoule. Les feuilles du savonnier frétillent d’aise sous la douche ! Elle écrit et rature sur les pages de son cahier tout neuf, elle griffonne, gomme, se relit, corrige et repart.
Elle a envie de dire l’histoire des
quelques-uns dont elle a croisé le chemin. Elle pense notamment à cet indien
triste et plein d’humanité, là-haut sur sa montagne isolée. Qu’est-il
aujourd’hui devenu ? Elle ne le saura sans doute jamais. Elle garde le
souvenir précieux de son attention réconfortante qui n’avait pas besoin de
mots. Les ruisseaux qui se forment sur les vitres dépolies de la verrière
accompagnent ses pensées paisibles.
En contrepoint, le parfum du bois qu’on
travaille. Émile bricole et chantonne à mi-voix. Il ne dit pas ce qu’il est en
train de fabriquer. A ses pieds tombent les copeaux sous les mouvements
allongés du rabot. Il est heureux, installé à son établi. Il effleure du bout
des doigts les différentes essences pour choisir le morceau qui conviendra le
mieux à son projet.
Lui aussi est heureux de cette pluie
bienvenue qui repeint la petite cour de couleurs vives. Le parfum des
clochettes du muguet et celui du lilas double n’en seront que plus forts après
l’averse.
Noisette, qui l’observe avec attention,
penche la tête et semble approuver. Puis elle se lève et va quémander une
caresse à Julie.
Julie, quant à elle, est moins sensible
au charme de la pluie ! Même si elle n’habite pas loin, elle a tout de
même bien eu le temps de se faire mouiller en arrivant tout à l’heure !
Son ciré accroché à la patère n’a même pas encore fini de goutter !
Mais pour l’instant, elle oublie un peu
le reste et se plonge avec délice dans le dernier roman policier qu’elle a
trouvé dans la bibliothèque à l’étage, chez Émile. Le papier est vieux et
jauni. Il n’est plus si souple mais l’histoire de ces quatre intrépides qui
mènent l’enquête en compagnie de leur chien la tient en haleine. Elle est avec
eux, aux aguets, et les suit pas à pas.
Elle savoure aussi le plaisir diffus de
tourner ces mêmes pages que d’autres mains ont tournées avant elle. Celles
d’Émile peut-être, ou bien d’autres inconnues. Elle inscrit ici sa marque et
vient prendre sa place dans la cohorte des lecteurs anonymes. Ce livre-là
continuera peut-être sa route pour être parcouru pas d’autres mains plus ou
moins habiles.
Dehors, la pluie diminue peu à peu
pour cesser tout à fait. Noisette est la seule qui s’en aperçoit, le bout de la
truffe chatouillé par un trait de soleil audacieux.