"Je pars". La porte claque et couvre les mots de Julie, qui se hâte autant que ses courtes jambes le lui permettent ! Elle est équipée de pied en cap et file avec bonheur vers la journée qui l'attend.
"Vite, vite, sinon on va être en
retard !"
Elle, qui d'habitude flâne et peut
s'arrêter pour observer le trajet d'une colonne de fourmis ou les volutes de fumée
pendant de longues minutes, ne voit plus rien. Elle tourne au coin de la petite
venelle, sans même prendre le temps de sentir le parfum des roses orangées qui
dépassent de la grille.
"Salut Noisette, on y va, ça y est,
tu es prête ?"
"Doucement, ma belle ! Tout va
bien, nous avons le temps !" lui réponds Émile, qui sort à cet instant.
"Marie Séraphine est encore dans la cuisine." Malgré ces paroles
rassurantes, Julie trépigne d'impatience. "Tu m'aides ?", lui demande
alors Émile, pour la distraire. "Tiens, rapporte des seaux, je les ai
oubliés !"
Avec gravité et tout le sérieux exigé
par sa mission, Julie file dans la grange et revient, les bras encombrés des
seaux presque aussi hauts qu'elle !
"Parfait, mademoiselle !
Heureusement que tu es là !", s'exclame Émile, attendri.
"Eh bien, nous voilà au complet,
parés à virer", reprends Marie Séraphine. "En route, la fine équipe !"
A ces mots, Noisette grimpe dans la
cabine du tracteur, suivie de Julie, assistée d'Émile.
Marie Séraphine prend le volant de l'antique camionnette et le convoi
s'ébranle. Les cailloux roulent sur le chemin blanc qui monte vers le coteau et
Julie se sent ballottée de droite et de gauche ! Qu'importe ! La petite fille
ne donnerait sa place pour rien au monde !
On tourne une dernière fois à droite, la
truffe de Noisette frétille, Julie se redresse, on est arrivés !
Marie Séraphine gare son véhicule en
bordure du bois et vient ouvrir la porte. Noisette, partie se dégourdir
les pattes, revient et attends, patiemment, au pied du premier cep.
"Alors Julie, tu es prête ? Tu as
bien compris ? On essaie de ne pas en oublier, ni de se couper les doigts ! Ce
sont les raisins qu'on veut dans le seau !"
La petite fille acquiesce ! « Ben,
oui, je sais, tu m'as appris et j'ai rien oublié ! Bon, on peut commencer ?
Sinon, on n’aura jamais fini ! »
« Alors, c’est parti ! A toi l’honneur,
jeune fille ! Le premier rang est le tien ! »
Noisette observe toute cette agitation,
et choisit de se poser de tout son long dans l’herbe encore verte de cette fin
d’été.
Julie est maintenant à pied d’œuvre !
« Voyons, il faut s’appliquer, Émile a dit de bien faire attention ! »
Elle est si concentrée qu’elle en tire la langue ! « Comment choisir,
comment savoir ?»
Soudain, l’idée lui vient : il
suffirait peut-être juste de goûter, juste un tout petit grain, juste vraiment,
un petit rien ! Allez, il faut se décider, cette grappe-là, d’abord. Elle
est bien charnue, cela fait trop envie !
Julie dérobe un grain juteux, puis un
autre, ça fond dans la bouche, c’est gorgé de sucre et de soleil !
« Oui, vraiment, cette grappe est
bonne à couper ! » Hop, dans le seau, non sans un léger prélèvement
au passage ! Allez, une autre, maintenant ! Et puis goûter encore, juste
pour vérifier bien sûr !
Et c’est ainsi que la jeune Julie passa
sa première matinée de vendanges, le nez un peu rougi par l’air encore frais et
le menton barbouillé du sucre des fruits ! Il parait que le seau ne se
remplit guère, ce jour-là.
Après le pique-nique, épuisée de tant d’excitation,
elle s’endormit à l’ombre des noyers, surveillée de près par Noisette qui agitait
la queue pour chasser les insectes. En fin d’après-midi, en rentrant dans le
tracteur brinquebalant, sur le chemin blanc caillouteux, elle se sentait subitement
devenue grande !