samedi 22 juin 2024

Tempêtes et pleine lune -Bain de jouvence !

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Le roulement un peu sourd du train sur la colline en face me ramène à mes années de préadolescence.

Nous venions d’aménager dans le très modeste pavillon HLM et les trains passaient alors à peine au bout du jardin. Cette ligne servait surtout au transport des cailloux. Je n’ai d’ailleurs jamais su d’où venaient ces tonnes de cailloux, de pierre plus probablement, ni surtout où elles étaient expédiées ni à quelle fin. Aux grandes vacances passaient aussi de plus rares trains de voyageurs qui partaient vers la mer ; c’était la ligne vers l’ouest, vers la Vendée, un univers lointain qui me semblait alors un eldorado. A mes yeux, les gens avaient toujours l’air joyeux, dans ce sens !

C’était le début des années collège, la découverte de la ville voisine, les prémices de l’émancipation à grands coups de pédales sur un vieux vélo pour adulte dont j’ai toujours ignoré la provenance. Ce n’était pas mon vélo, c’était moi qui l’utilisais le plus souvent, voilà tout.

Une simple recherche démontre que la période n’était certainement pas si paisible que dans mon souvenir. On allait vers les années 80, et le monde était également la proie de grands soubresauts, on parlait de « La crise », on débattait de la peine de mort, l’avortement venait d’être légalisé, mais de cela il n’était certes pas question à la maison, ou alors à mots couverts.

Nous n’avions pas encore la télévision, nous écoutions toujours la radio, les informations particulièrement, et les émissions de chanson française sur Radio Bleue le dimanche matin. Mais je n’avais pas à cet âge-là les clés pour appréhender pleinement le sens de ce que j’écoutais. Je soupçonne aussi que sous des airs attentifs et sages, je devais bien laisser mon esprit vagabonder !

Mes soucis absolument capitaux du moment étaient bien davantage tournés vers la satisfaction de besoins purement personnels ! Samedi ou mercredi prochain, à la bibliothèque municipale, pourrais-je trouver des « Caroline Quine » que je n’avais pas encore lus ? Je préférais les aventures d’Alice aux enquêtes des sœurs Parker. Mais tout ce qui me tombait dans les mains était dévoré ! Je dois la découverte des « Jules Verne » à mes frères. De nos raids cyclistes, donc, à la bibliothèque distante de quelques sept kilomètres, une aventure, nous revenions chacun chargés du maximum de livres que nous avions le droit d’emprunter. Et les livres de tous tournaient entre toutes les mains. L’abonnement était largement rentabilisé !

Les rares jours de disette, je trouvais toujours quelque vieux livre à relire. Les prix scolaires de mes parents, gros volumes aux couvertures rouges, fiche jaune calligraphiée collée à l’intérieur qui précisait les motifs de la récompense. Je me souviens particulièrement de deux ouvrages de la Comtesse de Ségur, destiné certainement à l’édification morale des jeunes gens : « Un bon petit diable » et « Les aventures de Sophie ». D’autres livres que je ne comprenais pas toujours mais qu’importe. Je dévorais, je m’embarquais en lecture comme d’autres partaient en voyage !

Outre la lecture, la vie était aussi rythmée par les premières expériences de tricot. On recyclait la laine ! Pour accéder au rang des tricoteuses dignes de confiance, il fallait d’abord faire ses preuves. Réaliser son premier chef d’œuvre ! Maman m’avait monté une trentaine de maille sur une aiguille, montré les points de base et j’avais ensuite pu laisser libre cours à mon imagination, en utilisant des restes de laine, en mélangeant les couleurs et les points à l’envie.

La démonstration faite, j’avais eu ensuite la permission de détricoter un vieux pull et de m’en tricoter un nouveau. Mon premier pull, rouge bien sûr ! Un peu plus tard, viendrait la première commande de laine à Bergère de France pour réaliser un vrai modèle du catalogue. Vieux rose, avec des torsades et un haut col roulé, celui-là.

La vie qui s’écoulait ainsi, au rythme des catalogues biannuels de la Redoute et des 3 Suisses, parcourus de nombreuses fois avec application ! Mes premiers draps, rouges, rien qu’à moi ! On attendait alors le colis, parfois même 3 semaines !

En cette époque particulièrement incertaine, aux vieux relents de très mauvaise soupe recuite, il fait bon replonger dans ce petit bain de jouvence, aux confins de l’enfance !