Les copeaux de bois blonds tombent au rythme du rabot. Sur le coin de l'établi, le poste de radio se pare d'or sous la lumière du monte et baisse. Émile sifflote à mi- voix le dernier tube à la mode .... trente ans plus tôt !
Il grimace dans sa barbe ! Toujours à la pointe du progrès !
Voilà une année qui tire sa révérence après avoir apporté son lot de soucis
et d'inquiétudes. Et celle qui se profile ne saurait résoudre tout cela d'un
coup de gomme par la simple magie de nouveaux numéros en haut de la page.
Ce n'est pas pour lui qu’Émile s'inquiète. Il se dit qu'il a déjà bien
vécu. Mais il pense à la jeune génération, toute neuve encore.
Il pense à Julie, la petite Julie, qui a tout de même bien grandi ! Qu'il
surprend rêveuse par moment, ou encore prise d'un tout nouvel intérêt pour les
grands Philosophes des Lumières. Julie, qui depuis un peu, commence souvent ses
phrases par "Fatou m'a expliqué que..., comme dit Fatou, Fatou pense
que.... ". Le fait qu'une certaine Fatou, en classe de terminale, étudie
précisément les mêmes Philosophes des Lumières en ce moment ne doit être, bien
sûr que pure coïncidence !
A ses pieds, Noisette lève l'oreille. Un peu d'air frais s'infiltre par la
porte qui vient de s'entrouvrir. Marie Séraphine l'interpelle.
- Allez, raccroche ta blouse, il va être l'heure, les petites ne vont plus
tarder.
Émile éteint la radio et la lumière.
Main
dans la main, ils traversent la petite cour. Le vent murmure dans les branches
du savonnier.
Ce soir, les vœux échangés auront le parfum de la Casamance !