Minuscule, proprement minuscule ! A tel point d’ailleurs qu’on n'en distingue le contour qu’en arrivant presque à sa porte. Cet aéroport ressemble davantage à un banal hangar, avec ses murs ocres et verts comme s’il devait se dissimuler dans le paysage, à peine toléré, comme clandestin.
Voilà bien un fragile point
de départ pour un voyage qui tient pourtant de l’odyssée. Ne pas se laisser
impressionner, quelques livres comme viatique, partir, tels les descendants de
tous ceux qui ont effectué le même périple au fil du temps.
Partir, s’évader, embarquer,
laisser venir le bonheur et l’ivresse de la légèreté, avant de se poser
délicatement au pays du peuple des Pages Sages.
Discrets, presque fluets, le
voyageur distrait pourra les croiser sans même les remarquer. Tels des
caméléons furtifs, ils se fondent dans la nature foisonnante qui les entoure.
Les rencontrer se mérite et demande qu’on y prête attention.
Affairés et diligents, ils
vont et viennent, tout absorbés par leur tâche. Leur journée commence toujours
par le même rituel : ouvrir chaque matin un livre emprunté la veille au
soir au voisin, y piocher trois mots et les offrir au premier être vivant qu’on
croise. On pourra les chanter, les clamer, les susurrer, les chuchoter, les
hurler, selon ce qu’on trouvera le plus adéquat !
Ils partent ensuite, en
suivant très exactement leurs envies et les inspirations du moment. Un jour de
mélancolie, tel marchera le long du ruisseau, à pas lents et tranquilles. Ce
même ruisseau que tel autre avait suivi la veille, avec joie, bonheur,
exaltation et éclatant de rire !
Parcourant ainsi leur monde,
on les voit soudain stopper net et s’emparer prestement qui d’un calepin, qui
d’une feuille arrachée d’un carnet, qui d’un livre aux pages blanches. A la
craie, au fusain, au crayon ou bien encore à la mine de plomb, ils esquissent,
dessinent, copient, illustrent, peignent à grands traits.
Ce sont des collecteurs créateurs !
Cueillant parfums et
couleurs, sensations et odeurs, ils créent, imaginent, inventent un catalogue
de mots nouveaux, inédits, jamais encore prononcés, tout à la fois les plus
sobres et les plus percutants possible. Des mots indiscutables, qui se
suffiront à eux même !
Épuisés par ce dur labeur,
comme des convalescents ouverts à autrui, si le ruisseau est très sauteur et
cascadant, ils vous adresseront gentiment la parole pour peu qu’ils vous
sentent suffisamment réceptif.
J’eus ce bonheur, alors que je
déambulais au hasard. J’entendis soudain une petite voix suave murmurer :
« voluptique, ....voluptique…. Voyons voyons, oui, voluptique, c’est tout
à fait ça ! Vite, je le note et je le porte au catalogue ».
Les sens en éveil, je
continuais ma route. Ce fut cette fois une voix grave et concentrée qui
s’exclama : « J’ai trouvé ! Musicriture, bien sûr, oh oui, c’est
formidable, musicriture ! » On pourra remarquer que les habitants de
ce bout du monde ne manquaient pas de donner parfois dans une très légère
autosatisfaction !
Le dernier mot que j’entendis
lors de ce séjour fut « Flutisme ! », sur un ton quelque peu
désabusé !
Je pris le chemin du retour
et retrouvais, songeur, l’aéroport. Le sens de ces mots ne m’avait pas été
expliqué, j’avais pourtant parfaitement compris ce qu’ils signifient à
l’instant même où je les avais entendus !
Voilà bien de la poégination !