mardi 16 février 2021

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Radio  ou l’Histoire aux vermicelles

 

Les samedis soir de mon enfance, dans la vieille maison, derrière les volets qui fermaient mal, nous faisions silence autour de la table, à l’heure de la soupe à la tomate et aux vermicelles. J’apprenais l’Histoire, celle de la France principalement, des grands évènements, de ses moments décisifs. La fréquence du poste était une fois pour toute réglée sur France Inter, l’émission était intitulée « La tribune de l’histoire ». Le cours était magistral, on nous donnait « la vérité » à entendre. Les temps n’étaient alors pas à l’esprit critique, ni au questionnement du message reçu !

J’ai davantage le souvenir de l’atmosphère de ce moment particulier de la semaine, plus que des contenus. J’écoutais pourtant de toutes mes oreilles, sans comprendre grand-chose sans doute, les voix qui racontaient.
Un épisode précis reste cependant gravé dans ma mémoire. Des voix graves d’hommes chantaient en rythme sur fond de bruit de bottes un chant que je ne comprenais pas. Du haut de mes jeunes années, je me permis alors cette remarque bien innocente à mes yeux. « C’est beau » !
La tonalité du silence autour de la table changea alors du tout au tout, ma mère se figea sur l’instant et me répondit abruptement : « C’est horrible ! ». Se reprenant, elle resitua alors le chant en question dans le contexte. Pour elle comme pour mon père, il ne s’agissait pas de l’Histoire mais de leur histoire. Elle baissa un peu la garde et nous laissa entrevoir ses jeunes années, cette autre famille du village qui disparut un jour sans laisser de traces, ces bombes qui tombaient sur le transformateur. Sa mère aussi, qui leur interdisait d’accepter les bonbons offerts par l’occupant, de peur qu’ils ne soient empoisonnés.
Sans que j’en ai vraiment conscience je crois, l’Histoire pour moi est alors sortie des livres pour devenir celle des hommes.