Radio ou l’Histoire aux vermicelles
Les samedis soir de mon enfance, dans la vieille maison, derrière les volets qui fermaient mal, nous faisions silence autour de la table, à l’heure de la soupe à la tomate et aux vermicelles. J’apprenais l’Histoire, celle de la France principalement, des grands évènements, de ses moments décisifs. La fréquence du poste était une fois pour toute réglée sur France Inter, l’émission était intitulée « La tribune de l’histoire ». Le cours était magistral, on nous donnait « la vérité » à entendre. Les temps n’étaient alors pas à l’esprit critique, ni au questionnement du message reçu !
J’ai
davantage le souvenir de l’atmosphère de ce moment particulier de la semaine,
plus que des contenus. J’écoutais pourtant de toutes mes oreilles, sans
comprendre grand-chose sans doute, les voix qui racontaient.
Un
épisode précis reste cependant gravé dans ma mémoire. Des voix graves d’hommes
chantaient en rythme sur fond de bruit de bottes un chant que je ne comprenais
pas. Du haut de mes jeunes années, je me permis alors cette remarque bien
innocente à mes yeux. « C’est beau » !
La
tonalité du silence autour de la table changea alors du tout au tout, ma mère
se figea sur l’instant et me répondit abruptement : « C’est
horrible ! ». Se reprenant, elle resitua alors le chant en question
dans le contexte. Pour elle comme pour mon père, il ne s’agissait pas de l’Histoire
mais de leur histoire. Elle baissa un peu la garde et nous laissa entrevoir ses jeunes
années, cette autre famille du village qui disparut un jour sans laisser de traces, ces
bombes qui tombaient sur le transformateur. Sa mère aussi, qui leur interdisait
d’accepter les bonbons offerts par l’occupant, de peur qu’ils ne soient empoisonnés.
Sans
que j’en ai vraiment conscience je crois, l’Histoire pour moi est alors sortie
des livres pour devenir celle des hommes.