vendredi 17 juillet 2020

Une chronique de Marie Séraphine : en une valse erratique

La salle est déjà pleine.
Autant de vies jusqu'à présent anonymes venues poser leur besace de petits et grands maux.
L'assurance conquérante des derniers arrivés, dont la carapace des fausses certitudes s'effrite inéluctablement au fil des minutes, l'inquiétude presque palpable de ceux qui souffrent. Le temps s'égrène et s'étire à son gré, indifférent aux sensations des uns et des autres.
Les chaises se libèrent au rythme aléatoire des entrées et sorties. Presque machinalement, les yeux se lèvent et suivent les arrivées, accompagnent aussi les chanceux, ceux qui repartent pour retrouver le fil de leur vie, un instant mise sur pause.
Un visage connu, familier, insolite dans cet environnement inhabituel.
Un couple, aussi. On la devine discrète et réservée. D’ordinaire, elle mène sa maison et vaque à ses affaires, aussi effacée qu’efficace. Mais aujourd'hui, elle est une guerrière invincible, aucun obstacle ne l’arrêtera. Il souffre, n'a pas dormi, ne va pas bien. Il ne peut pas rester comme ça.
Sa bravoure audacieuse reste tout de même tempérée par le souci de bien faire comme il faut. Elle s’assoit tout d'abord, avant de se relever presque aussitôt.
"Il faut juste attendre, après avoir pris le numéro ?"
"Est-ce bien certain, ne faut-il pas aussi se présenter, tout de même, signaler qu'on est là ?"
"Et puis, on n’a pas rendez-vous, c'est grave ?"
Bien que confortée à plusieurs reprises sur la marche à suivre, elle demeure tourmentée et indécise, ferme toutefois dans ses résolutions. Lui reste assis, sage à sa place, la regarde.
Elle se lève et s’avance, n’ose pas, se rassoit. Ses poings serrés parlent pour elle, son regard tourné vers lui se teinte de douceur. Voilà, c'est son tour, c'est à lui. Ses épaules se redressent, soulagées. Provisoirement, elle a fini sa garde, elle cède sa place à celui qui va tout arranger.
Les nouvelles arrivées se succèdent en un fil ininterrompu. D'autres vies, d'autres histoires, instants décisifs ou anodins. Ici, on laisse son écorce au vestiaire, accrochée à la patère.
Un peu plus tard, serrés l’un contre l’autre, ils repartent à petits pas.
Demain matin, les portes s'ouvriront et tout recommencera.