George Michel - Le moulin d'Argenteuil - 1830
- « Allez, ma
brave mule, encore un bon effort ! J’aperçois au loin notre but ! »
La jeune fille
encourageait sa mule, se réconfortant elle-même aussi ! Elle se sentait bien
petite dans ce paysage immense ! Quelle lourde responsabilité que de mener
le blé de leur modeste récolte jusqu’au meunier ! De la réussite de sa quête
dépendait en partie le sort de toute la maisonnée au prochain hiver !
Il fallait cheminer
sans s’apitoyer, ni perdre trop de temps ! Le passeur sur son bac ne les
attendrait pas. La plaine pourtant, n’en finissait pas de s’étendre, le chemin
ne se lassant pas de faire de multiples détours mais à plat, fort heureusement !
Il n’en irait pas de même la rivière passée ! L’arrivée au moulin se faisait
par une grimpette fort raide qui tirait sur les jambes et les pattes lasses !
Jeannette était l’ainée
d’une famille de sept autres bouches à nourrir, le père et la mère travaillaient d’arrache-pied
à la ferme. Les journées de travail étaient longues. Pour Jeannette, l’école
était désormais finie depuis quelques mois. Son avenir désormais semblait tout
tracé : aider ses parents à la ferme jusqu’au moment où viendrait l’âge de
la marier, au fils d’un voisin, sans doute, assurant ainsi la juste pérennité
des choses.
Jeannette avançait
toujours, accompagnée de Pâquerette. Ce à quoi pouvait penser Pâquerette, nul
ne le saura jamais ! Mais dans la tête de Jeannette, les pensées tournaient
et s’agitaient. La maitresse à l’école lui avait dit qu’elle était bonne élève,
sage, et intelligente. Elle avait appris avec aisance, savait lire et compter,
sans même utiliser le bout des doigts.
Elle savait bien sûr
aussi faner les foins, traire la vache et les deux petites biquettes. Coudre et
ravauder lui étaient également familiers, tout comme cuire la soupe et les
légumes ! Elle faisait tout cela naturellement, sans avoir besoin d’y penser.
Mais cet avenir tout
écrit ne lui semblait pas suffisant pour remplir toute une vie, aussi vaste que
les cieux au-dessus de sa tête ! Jeannette avait un secret, qu’elle caressait
et cajolait ! Cela lui semblait aussi impossible que tout à fait
désirable. Jeannette se rêvait maitresse ! Elle s’imaginait très bien sur
l’estrade, pointant la règle au tableau pour désigner les lettres une par une !
Pour l’heure, il
fallait se hâter encore un peu plus. La rivière était en vue et la file s’allongeait
pour prendre le bac ! Jeannette sourit et chuchota au creux de l’oreille patiente
de Pâquerette : « Voici Jeannette, votre nouvelle maitresse » !
Pâquerette ne se permit pas le moindre commentaire !
La rivière passée, Jeannette
se secoua !
« Baste, folle que je suis ! Fille de campagne je suis née, fille de campagne je
resterais ! »
Mais pourtant, les
idées continuaient de trotter ! Dimanche, c’était la kermesse au village.
On irait en famille, endimanchés et lavés de près. Le maire, le curé, l’instituteur
seraient là… Peut-être il y aura un moyen de s’approcher, peut-être !
Réconfortées par
cette idée, c’est d’un pas presque léger que Jeannette et Pâquerette firent
claquer leurs sabots sur le raidillon qui montait au moulin !