jeudi 10 juillet 2025

Le vieux tournevis

 

Les dernières lueurs s’estompent derrière les collines, on sent la fraicheur par les fenêtres entrouvertes de la petite maison, au bout de la ruelle. Julie, le vieil Émile, Marie Séraphine parlent de tout et de rien en ce soir d’été. Noisette, étendue sous la table, comme à son habitude, se laisse bercer par le ronronnement de la conversation.

- Dis, Julie, tu ne voudrais pas aller me chercher ma couture, dans le tiroir de la table de la chambre ? demande Marie Séraphine. Mes mains ont besoin de faire quelque chose.

Julie s’exécute de bonne grâce, ou du moins, tente de le faire.

- J’ai trouvé, mais je n’arrive pas à sortir le tissu, il y a quelque chose qui gêne. Je n’ose pas tirer, j’ai peur de déchirer.

- Ah ? Ne bouge pas, j’arrive.

Marie Séraphine force le tiroir qui grince pour l’ouvrir un peu plus, passe sa main tout au fond, et marmonne :

- Mais qu’est-ce qui….. ?

Elle parvient à sortir son ouvrage, le sort et fait tomber un objet qu’elle suit du regard. Elle devient soudain très pâle, ses yeux semblent humides. Julie s’inquiète et appelle le vieil Émile.

- Émile, viens vite, Marie Séraphine ne se sent pas bien !

Mais Marie Séraphine, bien que visiblement secouée encore, semble avoir repris ses esprits. On se réinstalle autour de la table, Julie et Émile observent Marie Séraphine, inquiets de ce moment de faiblesse inaccoutumé et curieux de comprendre.

L’objet maintenant exposé aux regards se révèle être un tournevis, un vieux tournevis avec un manche en bois, dont le vernis s’écaille çà et là. Un objet banal en apparence, qui ne semble en rien justifier cette émotion subite.

Marie Séraphine boit une gorgée de vin doux, pour se remettre tout à fait, et s’éclaircit la gorge. Elle sent bien qu’il lui faut maintenant expliquer.

- Je croyais l’avoir perdu, comment a-t-il bien pu atterrir dans ce tiroir, et pourquoi je ne l’ai pas retrouvé plus tôt, commence-t-elle. Autour de la table, le silence est palpable, les grillons eux-mêmes se sont tus ! Alors voilà, ce tournevis, eh bien, ce tournevis m’a vu naître, en quelque sorte !

Julie et Émile se penchent sans même s’en apercevoir, à l’écoute à l’unisson.

- Ce tournevis a été probablement été fabriqué dans les années trente, quelque part dans une petite entreprise de banlieue, comme il y en avait tant, reprend Marie Séraphine. Il a été témoin de bien des malheurs, quelques bonheurs aussi. Ce tournevis appartenait à un apprenti menuisier, un jeunot, encore adolescent à l’époque. On commençait à travailler de bonne heure alors. On avait l’espoir de faire une belle vie, de réussir, on rêvait en somme.

Et puis la guerre ! La guerre est arrivée, qui a balayé tout cela. Finie l’insouciance, le travail était toujours aussi dur, mais on ne rêvait plus ! Les pavés ont bientôt résonné du bruit des bottes, on avait peur, on avait faim ! Des rumeurs trainaient les rues, des voisins partaient en voyage ou disparaissaient…

Notre apprenti continuait son chemin, concentré et appliqué, comme à l’ordinaire, tout entier à son ouvrage. Des menuisiers, il en faudrait toujours, quels que soient les temps ! Il était là, tous les jours sans faute, à l’heure, d’humeur égale. Il rentrait chez ses vieux parents au soir tombé, …avant de ressortir parfois à la nuit noire, dans la plus grande discrétion, l’œil méfiant, aux aguets. Il connaissait la ville sur le bout des doigts et savait les passages discrets où se faufiler sans être vu. Il ne sortait jamais sans avoir caché bien au fond de sa poche son outil, ce même tournevis qui a reparu ce soir.

Il se hâtait, le plus discrètement possible, mais sûr de sa destination. Une fois arrivé, il se penchait au-dessus d’une plaque d’égout et donnait trois coups légers de la pointe de l’outil. La plaque se soulevait alors et il semblait disparaitre dans le sol, un passant aurait cru à une hallucination, dans le faible halo de l’éclairage quasi inexistant.

Il descendait encore quelques marches, suivant celui qui lui avait ouvert le passage. Il fallait ensuite cheminer dans les boyaux souterrains, en se repérant à quelques indices à peine visibles, toujours en silence. Enfin, une porte, condamnée en apparence. Mais là encore, le tournevis entrait en action. Un quart de tour sur une vis dissimulée dans l’épaisseur du bois suffisait à l’ouvrir et à le refermer aussi vite, sur ses gonds bien graissés.

C’était une des multiples entrées des catacombes, mais qui n’avait jamais été indiquée sur aucun plan, par chance pour le petit groupe qui en avait fait son camp de base ! Ils étaient une demi-douzaine, filles et garçons, les plus vieux n’avaient pas vingt ans ! Ils étaient tous jeunes mais loin de l’insouciance. Ils avaient des yeux et des oreilles et comprenaient qu’il se passait des choses insupportables. Ils s’étaient rencontrés un peu par hasard, au fil de leurs courses diverses et s’étaient en quelque sorte reconnus. Les liens s’étaient tissés, le refus de laisser faire, l’envie de se battre les avait soudés.

Et c’est ainsi que le réseau des mômes avait vu le jour. Ils n’auraient pas su dire lequel avait eu l’idée des catacombes ! Mais ils avaient soigneusement exploré leur territoire et le chemin des catacombes s’était révélé un excellent moyen de fuir Paris. Quelques familles leur doivent d’avoir échappé à un bien funeste destin.

Comme je vous l’ai dit, ce groupe comprenait des garçons et des filles. La tension et, comme on dirait aujourd’hui, l’adrénaline, les a soudés, a créé des liens très forts ! L’apprenti au tournevis, vous l’avez peut-être deviné, était mon père ! Il est tombé fou amoureux de la belle Lisette, une jolie jeune fille à la tête bien faite ! Laquelle Lisette m’a donné naissance en cet hiver froid de 1954 !

Alors, oui, ce tournevis, ce sont mes parents, ces jeunes fous si sages ! C’est la clé de mon histoire ! murmure Marie Séraphine.

Petit à petit, dans le silence qui suit ses mots, la vie un instant suspendue, revient. Dehors, dans le ciel pur de cette nuit d'été, deux étoiles scintillent, juste un peu plus.


lundi 7 juillet 2025

Retour à soi

Voiture chargée, il est temps de claquer la portière et de se diriger plein sud. Le petit crachin se transforme bientôt en une grosse pluie froide qui vient finir de laver les restes de la dernière canicule ! Les premiers kilomètres se font au rythme acharné des essuies glaces, comme une fin de saison, en ce début d’été.

Ce sont les départs en vacances, jusque sur les nationales tranquilles qui traversent les gros bourgs assoupis en ce dimanche après-midi. Lesquels ne sont d’ailleurs peut-être pas beaucoup plus animés les autres jours !

Petit à petit, les grandes parcelles céréalières s’espacent, laissant place aux champs ornés de leur gros ballots de paille bien rangés. Voici les premiers troupeaux de vaches, fermement campés dans leur terroir.

La route s’étrécit, devient plus aléatoire et sinueuse, bordée maintenant de haies bocagères. Les prés alternent avec des lambeaux de forêt, dense et sombre, éclairée de fougères. Le jaune de la moisson a cédé la place à un camaïeu de verts !

Les premiers monts apparaissent par instants au détour de la petite route. On entre en Morvan ! C’est le moment du retour à soi, du temps nonchalant, de la liberté et des lectures gourmandes, de la vie au calme qui laisse loin derrière l’agitation des mois passés ! Un retour vers les étés éternels de l’enfance !

mercredi 2 juillet 2025

Sensations estivales !

 

Même le ventilo n’y croyait plus ! Ses pales indolentes semblaient au bout de leur vie, ne parvenant qu’à grand peine à déplacer des bouffées d’air chaud ! Il soupira, claqua la porte. Dans la rue, les pieds des lampadaires éteints craquaient en se rétractant sous l’effet d’une vague fraîcheur matinale. Les jours avaient déjà raccourci en ce tout début d’été mais la touffeur ambiante les rendait interminables et ce petit matin n’annonçait rien de mieux !

Il enfourcha son vélo, et s’enfonça dans les petites rues étroites de la vieille ville. Un chat, noctambule en chasse, le regarda passer d’un air goguenard ! Il n’y a pas d’heure pour les braves !

En entrant, il interrogea son vis-à-vis du regard ! Ce dernier hocha la tête et lui indiqua d’un haussement d’épaules las le fond du couloir. Des voix s’élevaient, sans passion. La traque vaine usait les énergies et calmait les plus ardents ! Déjà quatre meurtres en 6 semaines sous les parasols ! Le maire ne dormait plus, les médias se refaisaient le film, encore et toujours plus, la ville entière échafaudait des théories, on savait des choses, on vilipendait la police qui ne faisait rien… bref, une armée entière de Nestor Burma ou d’inspecteurs Maigret, au choix des lecture de chacun !

Et pourtant, rien ! Aucun indice, aucun message anonyme, pas de silhouette louche, entrevue au carrefour ! La vidéo surveillance ne montrait rien d’autres que les images ordinaires des touristes écarlates de retour de la plage ! La seule information était le nombre de glaces consommées dans l’espoir sitôt déçu de se rafraichir un peu !

Ce matin-là, on venait de découvrir une nouvelle victime, installée comme les autres, avec un air détendu et apaisé, sur un des transats de la plage de l’hôtel ! Détendue, apaisée mais … tout à fait décédée !

C’en était trop ! Cette fois, le préfet avait alerté en haut lieu, on vit bientôt les gyrophares clignoter de leur plus beau bleu, suivis des cars-régies des médias nationaux. On annonça l’arrivée en hélicoptère du ministre de l’intérieur ! Les touristes en short, d’abord contrariés de tous ces embouteillages qui perturbaient leur routine estivale, furent bientôt ravis de se voir interviewés tant et plus ! Bien sûr, on n’avait rien à raconter, mais on se faisait un devoir d’honnête citoyen de le dire tout de même !

A l’abri des regards, depuis la fenêtre de son bureau, il observait cette agitation stérile et épuisante ! Le coupable était-il là, se délectant de sa popularité anonyme ? A quand le prochain meurtre, pourquoi ne trouvait-on rien ?

Le ministre s’envola comme il était arrivé, après des paroles fortes et des coups de menton tout à fait décisifs ! On n’en resterait pas là, des mesures seraient prises. Les médias, après quelques jours, n’ayant plus personne à interviewer, gavés de glace et des discours de pseudos témoins qui s’étaient découverts une nouvelle vocation, partirent bientôt vers d’autres évènements croustillants et non moins sensationnels !

La torpeur reprit sa place dans les conversations, il n’y eut plus de nouvelles découvertes, les estivants reprirent la route, furent remplacés par d’autres que l’on se fit un plaisir de mettre au courant, avec l’air de ceux qui savent. Lors de la vague suivante d’arrivants, on en parlait déjà moins, ou juste par allusions. A la fin de l’été, c’était déjà de l’histoire ancienne. Les autochtones avaient retrouvé leur quant-à-soi et leurs sujets de saison : la rentrée, le poids des cartables, la nouvelle institutrice, qu’on ne connaissait pas et qui arrivait d’on ne sait où….

Tous les jours de la semaine, il reprenait son vélo, au petit matin. Lui n’avait pas oublié, ni rangé cette tragique histoire au rang des faits divers. Tout en gérant les affaires courantes, il continuait d’observer et d’analyser, de tenter de comprendre et de trouver le fin mot de l’histoire ! Il se l’était juré, il le devait aux disparus ! Un jour, il ferait la lumière sur cette affaire !