dimanche 19 octobre 2025

La maison vide

 

J’avais choisi de venir un jour plus tôt. Les autres arriveraient le lendemain dans la journée, équipés de leurs matériels, de leurs compétences, de leurs souvenirs aussi. Il fallait faire vite, la maison devait être vide au plus tôt.
Je m’étais accordé ce moment, que je savais nécessaire, et probablement douloureux aussi. J’avais récupéré les clés chez la voisine, et remonté une dernière fois la petite allée devant le garage.
- Tiens, la serrure est toujours aussi dure, il faudra …. Plus rien du tout, ce ne serait bientôt plus notre problème.
Ce geste si souvent accompli prenait soudainement un tout autre sens. De la cuisine attenante au garage déjà un peu vidé n’émanait plus la moindre odeur de soupe aux légumes. Aucun bruit ne passait la porte.
Ouvrir les volets, aérer juste un peu malgré les premiers froids de novembre, juste le temps de faire le lien avec l’extérieur.
- L’aubépine est magnifique au bout du jardin. Les nouveaux la garderont-ils ? Ce serait dommage, elle est si belle !
Allons, assez de rêveries, il est temps de refermer, ne pas laisser le froid et l’humidité rentrer. Le brouillard tombait, juste avant la nuit. Je montais au premier, poursuivant la visite. L’escalier qui nous avait tant enchanté semblait briller encore un peu, d’un éclat un peu fatigué sous l’ampoule nue.
Ma chambre de jeune fille, autrefois mon cocon douillet. Je m’assis sur le vieux lit qui n’avait pas été changé depuis notre arrivée dans la maison alors fraichement construite. Le matelas n’avait plus guère de matelas que le nom ! Impossible de se coucher ailleurs qu’au milieu, creusé à la limite de l’effondrement ! Dans mon placard aux portes accordéon ne restaient plus que quelques vieilleries et mon dictionnaire, prix d’excellence de CM2 ! Celui-là partira dans mes bagages ! Nous avions déjà débarrassé pas mal de bric-à-brac l’été précédent. Mon étagère fixée au mur et recouverte d’un joli tissu saumon naguère garnie de livres divers glanés d’occasion souvent, vieux spécimens de la bibliothèque verte. Le joli tissu n’est que l’ombre de lui-même, poussiéreux, passé, avec des points d’humidité. Bon pour la poubelle demain.
Sur le palier, je tirais machinalement l’épais rideau sur la nuit noire, comme si souvent par le passé. Le premier qui montait à la bonne heure était déclaré volontaire pour tirer ce fameux rideau et fermer les volets. J’ai gardé de ce geste un profond sentiment de sécurité et suis incapable de dormir volets ouverts !
Un passage dans les deux autres chambres, comme pour suivre le rituel, avant de redescendre, mon vieux dictionnaire à la main. Je m’installais dans l’un des deux vieux fauteuils en rotin, si inconfortable ! Ici, le confort était modeste et un canapé, symbole d’extravagance !
Je feuilletais ce dictionnaire d’un autre temps, me laissant aller au hasard des pages, dans la maison silencieuse. Certaines définitions fleurent bon, ou mauvais, leur époque et ne pourraient plus prétendre à l’impression de nos jours !
J’étais partie très loin, perdue dans mes pensées, lorsque je vis soudain le rideau onduler légèrement. J’observais plus attentivement, étonnée. Tout était fermé, les volets clos, j'avais vérifié trois fois, toutes les portes, toutes les fenêtres de l'ancienne demeure étaient bien fermées... alors d'où venait ce courant d'air ?
Je me raisonnais, ou tentais de la faire… Mais à vrai dire, seule, à la nuit tombée, dans une vieille maison vide, à la lumière chiche des ampoules 40 watt, économies obligent, une nuit de novembre… je ne me sentais pas plus rassurée que ça !
- Bon, ma vieille, tu te lèves et tu vas voir !
Plus facile à dire qu’à faire ! Et puis, des bruits ; un peu lointains, étouffés… Cette fois, c’en est trop ! Un peu de courage, on dirait que cela vient du garage ! Le manche du balai rangé sous l’escalier dans un main, mon téléphone en guise de lampe torche dans l’autre… haut les cœurs, j’ouvre la porte…
- Tu ne veux pas arrêter de m’aveugler, je n’y vois plus rien ! Viens plutôt nous donner un coup de main ! Nous avons apporté de quoi manger ce soir ! Il y a de la soupe, bonne à réchauffer, un peu de jambon, des patates bouillies, du pain frais ! Et pour l’occasion, quelques bouteilles de Saumur Champigny !
Ma veillée d’armes solitaire n’était plus ! Tout le monde avait opté pour la dernière nuit dans la vieille maison, et c’est chaleureusement, au fil des anecdotes, en savourant les dernières bouteilles que nous avons dignement fait honneur à nos parents ! 
 

 

 

mercredi 15 octobre 2025

Ma maison d’automne

 

Ma maison d’automne,

C’est l’or un peu passé des feuilles tombées,

Ce sont les nappes de brume au-dessus de la surface lisse des étangs.

 

Ma maison d’automne,

C’est l’or flamboyant du liquidambar,

Ce sont les volutes légères des premiers panaches de fumée.

 

Ma maison d’automne,

C’est l’or somptueux du soleil étincelant au ciel bleu,

Ce sont les rires des enfants au dehors.

 

Ma maison d’automne,

C’est l’or timide de la flamme de la bougie,

Ce sont les matins paresseux, délicieux, infinis.

 

Ma maison d’automne,

C’est le pas qui ralentit,

Ce sont ces bruits qu’on laisse et qu’on oublie.

 

mercredi 17 septembre 2025

Jeannette

 

 
 George Michel - Le moulin d'Argenteuil - 1830


 - « Allez, ma brave mule, encore un bon effort ! J’aperçois au loin notre but ! »

La jeune fille encourageait sa mule, se réconfortant elle-même aussi ! Elle se sentait bien petite dans ce paysage immense ! Quelle lourde responsabilité que de mener le blé de leur modeste récolte jusqu’au meunier ! De la réussite de sa quête dépendait en partie le sort de toute la maisonnée au prochain hiver !

Il fallait cheminer sans s’apitoyer, ni perdre trop de temps ! Le passeur sur son bac ne les attendrait pas. La plaine pourtant, n’en finissait pas de s’étendre, le chemin ne se lassant pas de faire de multiples détours mais à plat, fort heureusement ! Il n’en irait pas de même la rivière passée ! L’arrivée au moulin se faisait par une grimpette fort raide qui tirait sur les jambes et les pattes lasses !

Jeannette était l’ainée d’une famille de sept autres bouches à nourrir, le père et la mère travaillaient d’arrache-pied à la ferme. Les journées de travail étaient longues. Pour Jeannette, l’école était désormais finie depuis quelques mois. Son avenir désormais semblait tout tracé : aider ses parents à la ferme jusqu’au moment où viendrait l’âge de la marier, au fils d’un voisin, sans doute, assurant ainsi la juste pérennité des choses.

Jeannette avançait toujours, accompagnée de Pâquerette. Ce à quoi pouvait penser Pâquerette, nul ne le saura jamais ! Mais dans la tête de Jeannette, les pensées tournaient et s’agitaient. La maitresse à l’école lui avait dit qu’elle était bonne élève, sage, et intelligente. Elle avait appris avec aisance, savait lire et compter, sans même utiliser le bout des doigts.

Elle savait bien sûr aussi faner les foins, traire la vache et les deux petites biquettes. Coudre et ravauder lui étaient également familiers, tout comme cuire la soupe et les légumes ! Elle faisait tout cela naturellement, sans avoir besoin d’y penser.

Mais cet avenir tout écrit ne lui semblait pas suffisant pour remplir toute une vie, aussi vaste que les cieux au-dessus de sa tête ! Jeannette avait un secret, qu’elle caressait et cajolait ! Cela lui semblait aussi impossible que tout à fait désirable. Jeannette se rêvait maitresse ! Elle s’imaginait très bien sur l’estrade, pointant la règle au tableau pour désigner les lettres une par une !

Pour l’heure, il fallait se hâter encore un peu plus. La rivière était en vue et la file s’allongeait pour prendre le bac ! Jeannette sourit et chuchota au creux de l’oreille patiente de Pâquerette : « Voici Jeannette, votre nouvelle maitresse » ! Pâquerette ne se permit pas le moindre commentaire !

La rivière passée, Jeannette se secoua !

« Baste, folle que je suis ! Fille de campagne je suis née, fille de campagne je resterais ! »

Mais pourtant, les idées continuaient de trotter ! Dimanche, c’était la kermesse au village. On irait en famille, endimanchés et lavés de près. Le maire, le curé, l’instituteur seraient là… Peut-être il y aura un moyen de s’approcher, peut-être !

Réconfortées par cette idée, c’est d’un pas presque léger que Jeannette et Pâquerette firent claquer leurs sabots sur le raidillon qui montait au moulin !

 

mercredi 10 septembre 2025

En garde !

En garde, ma Plume !
Je vous sens ce soir rétive,
Dolente même !
Allons, quoi, me refuserez-vous
Jusqu’au choix de mes mots !
 
Ils se cachent les chenapans,
Et autres plaisantins !
Je les devine pourtant,
Ils ne sont pas si loin
Juste à la marge,
Au début de la ligne !
 
Ah ça, madame,
Je ne goûte guère vos caprices !
Nous étions naguère bonnes amies !

 

En garde, vous-dis-je, et finissons-en !
Voici qu’ils arrivent, en bataillons serrés,
Les incongrus, les étonnants, les inattendus,
Les plus doux aussi,
Assurés bientôt de notre victoire,
Et de nos amours retrouvés !


Faisons la paix et jurons-nous désormais
Amitié, prose ou poésie à volonté !