J’avais choisi de venir un jour plus tôt. Les autres
arriveraient le lendemain dans la journée, équipés de leurs matériels, de leurs
compétences, de leurs souvenirs aussi. Il fallait faire vite, la maison devait
être vide au plus tôt.
Je m’étais accordé ce moment, que je savais nécessaire,
et probablement douloureux aussi. J’avais récupéré les clés chez la voisine, et
remonté une dernière fois la petite allée devant le garage.
- Tiens, la serrure est toujours aussi dure, il faudra
…. Plus rien du tout, ce ne serait bientôt plus notre problème.
Ce geste si souvent accompli prenait soudainement un
tout autre sens. De la cuisine attenante au garage déjà un peu vidé n’émanait
plus la moindre odeur de soupe aux légumes. Aucun bruit ne passait la porte.
Ouvrir les volets, aérer juste un peu malgré les premiers
froids de novembre, juste le temps de faire le lien avec l’extérieur.
- L’aubépine est magnifique au bout du jardin. Les
nouveaux la garderont-ils ? Ce serait dommage, elle est si belle !
Allons, assez de rêveries, il est temps de refermer,
ne pas laisser le froid et l’humidité rentrer. Le brouillard tombait, juste
avant la nuit. Je montais au premier, poursuivant la visite. L’escalier qui
nous avait tant enchanté semblait briller encore un peu, d’un éclat un peu fatigué
sous l’ampoule nue.
Ma chambre de jeune fille, autrefois mon cocon
douillet. Je m’assis sur le vieux lit qui n’avait pas été changé depuis notre
arrivée dans la maison alors fraichement construite. Le matelas n’avait plus guère
de matelas que le nom ! Impossible de se coucher ailleurs qu’au milieu, creusé
à la limite de l’effondrement ! Dans mon placard aux portes accordéon ne
restaient plus que quelques vieilleries et mon dictionnaire, prix d’excellence
de CM2 ! Celui-là partira dans mes bagages ! Nous avions déjà débarrassé
pas mal de bric-à-brac l’été précédent. Mon étagère fixée au mur et recouverte
d’un joli tissu saumon naguère garnie de livres divers glanés d’occasion
souvent, vieux spécimens de la bibliothèque verte. Le joli tissu n’est que l’ombre
de lui-même, poussiéreux, passé, avec des points d’humidité. Bon pour la poubelle
demain.
Sur le palier, je tirais machinalement l’épais rideau
sur la nuit noire, comme si souvent par le passé. Le premier qui montait à la
bonne heure était déclaré volontaire pour tirer ce fameux rideau et fermer les
volets. J’ai gardé de ce geste un profond sentiment de sécurité et suis
incapable de dormir volets ouverts !
Un passage dans les deux autres chambres, comme pour
suivre le rituel, avant de redescendre, mon vieux dictionnaire à la main. Je m’installais
dans l’un des deux vieux fauteuils en rotin, si inconfortable ! Ici, le
confort était modeste et un canapé, symbole d’extravagance !
Je feuilletais ce dictionnaire d’un autre temps, me
laissant aller au hasard des pages, dans la maison silencieuse. Certaines définitions
fleurent bon, ou mauvais, leur époque et ne pourraient plus prétendre à l’impression
de nos jours !
J’étais partie très loin, perdue dans mes pensées,
lorsque je vis soudain le rideau onduler légèrement. J’observais plus attentivement,
étonnée. Tout était fermé, les volets clos, j'avais vérifié trois fois, toutes
les portes, toutes les fenêtres de l'ancienne demeure étaient bien fermées...
alors d'où venait ce courant d'air ?
Je me raisonnais, ou tentais de la faire… Mais à vrai
dire, seule, à la nuit tombée, dans une vieille maison vide, à la lumière chiche
des ampoules 40 watt, économies obligent, une nuit de novembre… je ne me
sentais pas plus rassurée que ça !
- Bon, ma vieille, tu te lèves et tu vas voir !
Plus facile à dire qu’à faire ! Et puis, des
bruits ; un peu lointains, étouffés… Cette fois, c’en est trop ! Un
peu de courage, on dirait que cela vient du garage ! Le manche du balai rangé
sous l’escalier dans un main, mon téléphone en guise de lampe torche dans l’autre…
haut les cœurs, j’ouvre la porte…
- Tu ne veux pas arrêter de m’aveugler, je n’y vois
plus rien ! Viens plutôt nous donner un coup de main ! Nous avons apporté
de quoi manger ce soir ! Il y a de la soupe, bonne à réchauffer, un peu de jambon,
des patates bouillies, du pain frais ! Et pour l’occasion, quelques bouteilles
de Saumur Champigny !
Ma veillée d’armes solitaire n’était plus ! Tout
le monde avait opté pour la dernière nuit dans la vieille maison, et c’est
chaleureusement, au fil des anecdotes, en savourant les dernières bouteilles que
nous avons dignement fait honneur à nos parents !
