- « Allez, ma brave mule, encore un bon effort ! J’aperçois au loin notre but ! »
La jeune fille encourageait sa mule, se réconfortant elle-même aussi ! Elle sentait bien petite dans ce paysage immense ! Quelle lourde responsabilité que de mener le blé de leur modeste récolte jusqu’au meunier ! De la réussite de sa quête dépendait en partie le sort de toute la maisonnée au prochain hiver !
Il fallait cheminer sans s’apitoyer, ni perdre trop de temps ! Le passeur sur son bac ne les attendrait pas. La plaine pourtant, n’en finissait pas de s’étendre, le chemin ne se lassant pas de faire de multiples détours mais à plat, fort heureusement ! Il n’en irait pas de même la rivière passée ! L’arrivée au moulin se faisait par une grimpette fort raide qui tirait sur les jambes et les pattes lasses !
Jeannette était l’ainée d’une famille de sept autres bouches à nourrir, le père et la mère travaillaient d’arrache-pied à la ferme. Les journées de travail étaient longues. Pour Jeannette, l’école était désormais finie depuis quelques mois. Son avenir désormais semblait tout tracé : aider ses parents à la ferme jusqu’au moment où viendrait l’âge de la marier, au fils d’un voisin, sans doute, assurant ainsi la juste pérennité des choses.
Jeannette avançait toujours, accompagnée de Pâquerette. Ce à quoi pouvait penser Pâquerette, nul ne le saura jamais ! Mais dans la tête de Jeannette, les pensées tournaient et s’agitaient. La maitresse à l’école lui avait dit qu’elle était bonne élève, sage, et intelligente. Elle avait appris avec aisance, savait lire et compter, sans même utiliser le bout des doigts.
Elle savait bien sûr aussi faner les foins, traire la vache et les deux petites biquettes. Coudre et ravauder lui étaient également familiers, tout comme cuire la soupe et les légumes ! Elle faisait tout cela naturellement, sans avoir besoin d’y penser.
Mais cet avenir tout écrit ne lui semblait pas suffisant pour remplir toute une vie, aussi vaste que les cieux au-dessus de sa tête ! Jeannette avait un secret, qu’elle caressait et cajolait ! Cela lui semblait aussi impossible que tout à fait désirable. Jeannette se rêvait maitresse ! Elle s’imaginait très bien sur l’estrade, pointant la règle au tableau pour désigner les lettres une par une !
Pour l’heure, il fallait se hâter encore un peu plus. La rivière était en vue et la file s’allongeait pour prendre le bac ! Jeannette sourit et chuchota au creux de l’oreille patiente de Pâquerette : « Voici Jeannette, votre nouvelle maitresse » ! Pâquerette ne se permit pas le moindre commentaire !
La rivière passée, Jeannette se secoua !
« Baste, folle que je suis ! Fille de campagne je suis née, fille de campagne je resterais ! »
Mais pourtant, les idées continuaient de trotter ! Dimanche, c’était la kermesse au village. On irait en famille, endimanchés et lavés de près. Le maire, le curé, l’instituteur seraient là… Peut-être il y aura un moyen de s’approcher, peut-être !
Réconfortées par cette idée, c’est d’un pas presque léger que Jeannette et Pâquerette firent claquer leurs sabots sur le raidillon qui montait au moulin !